Le tonnelier

L'histoire du tonnelier

Depuis la Gaule romaine et jusqu'au XVIII ème siècle, l'Ile de France fut le plus important vignoble du royaume. Aussi la profession de la tonnellerie était-elle prospère. Mais avec l'amélioration des transports routiers et ferroviaires, la concurrence des vins méridionaux de meilleure qualité amena le déclin rapide, puis la disparition totale du vignoble dans notre région. Tous les coteaux et les terres ingrates étaient plantés de vignes. Il en subsiste des vestiges jusqu'au début de notre siècle. Au cours de la dernière guerre, il y eut un relatif renouveau avec les plants hybrides, en raison de la pénurie de vin. La barrique inconnue de l'Antiquité, est une invention gauloise. Elle remplaça avantageusement l'amphore de terre cuite, fragile et incommode. Avec l'essor inouï du vignoble de France, le tonnelier devint un auxiliaire indispensable à la viticulture.

Dès le IXème siècle, on connaît la corporation des tonneliers et bariliers. Avec le compagnonnage, les tonneliers devinrent « enfants de Salomon » avec Nicolas pour Saint patron, en raison du saloir ou Saint Jean-Baptiste en raison du doloire qui le décapita. L'art de la tonnellerie est extrêmement difficile, demande un tour de main extraordinaire. La fabrication du tonneau est une opération très délicate, et il faut un coup d'oeil exceptionnel. Le bois est le matériau irremplaçable pour le mûrissement des vins et des alcools. On utilise généralement le châtaignier pour le vin et le chêne pour les alcools, parfois le hêtre. Il existe toute une gamme de fûts, de capacité plus ou moins grande:

Croquis d'un tonneau

-foudres d'une contenance diverse
-queue (un muid et demi): 2700 L.
-muid 1873 L. mesure de Paris
-demi muid 800 à 900 L.
-pièce 250 L.
-Barrique 200 à 220 L

-demi barrique 100 L.
-poinçon 198 L.
-feuillette 125 L.
-quartaut 125 L.
-tonnelets divers de 10 à 40 L.

 

La fabrication d'un tonneau


Les billes de chêne livrées au tonnelier doivent être fendues en suivant le fil du bois. On obtient alors ce qu'on nomme des bois merrains. S'il est préférable de fendre plutôt que de scier, c'est qu'un bois scié laisse souvent passer le liquide à travers ses mailles, surtout quand il s'agit d'élixirs qui ont " le nez fin " (comme le cognac, l'armagnac, et autres alcools de raisin). Pour le vin, breuvage moins fluide, on peut choisir des fûts d'acacia ou de châtaignier, à défaut de chêne et les bois supportant d'être découpés à la scie. Les coins divisent les troncs d'arbres.

Ensuite, le départoir permet de fendre le merrain, il se révèle d'un maniement plus difficile qu'il n'y parait. Il faut une poigne exercée pour le conduire exactement: selon qu'on l'incline plus d'un côté ou de l'autre, on tranche plus ou moins droit. Il faut un mouvement de main, presqu'inapréciable pour reprendre le fil et retrouver la ligne donnée. Le départoir se tient manche en l'air, il s'enfonce à coups de maillet et il partage le merrain en douelles. Le coudre de méraindier ou queue d'hirondelle sert à parer la douelle, à la dégrossir, à l'amincir. Puis, la scie à mettre en taille coupe les lames de bois à la longueur voulue. Après ces travaux préliminaires, l'artisan prend le nombre de douelles nécessaires à la fabrication d'un tonneau ( de 20 à 30 selon la grosseur du fût ) et se dirige vers son banc. Le banc du tonnelier possède à l'une de ses extrémités une mâchoire de bois actionnée au pied, pour serrer la douelle ou la pièce de fond que l'on pare à la plane et aussi en son milieu une large fente pour entailler les fonds.

L'ouvrier utilise le banc comme support, il aligne dessus les douelles, les examine une à une, afin de rejeter celles qui présentent des défauts ( bois rouge, fente, noeuds... ) puis il passe un tablier de cuir et saisit la doloire. La doloire joue un rôle essentiel et sa propre fabrication requiert des attentions délicates exigeant la main d'un excellent taillandier. Dans son manuel de tonnelier, Paulin DESORMEAUX indique: " il faut être de l'état pour distinguer la doloire bien faite d'avec celle qui n'ira pas aussi bien, aux yeux des personnes étrangères à l'art, toutes les deux sont semblables. En emmanchant la doloire, il faut avoir soin de faire levier le manche en dehors afin qu'il ne se trouve pas sur le même plan que l'axe de la lame ; cette précaution est nécessaire pour que la main ne soit pas froissée contre le bois. Ce manche doit être assez lourd pour former contre-poids à la pesanteur de l'outil. La doloire exécute un travail compliqué puisqu'elle doit donner à la douelle une forme déterminée qui n'est pas dessinée par des lignes droites, mais par des courbes légères.

Il faut, qu'en laissant tomber cet outil tranchant, s'arrondisse en creux, la planche étroite et mince, et il faut, qu'indépendamment de la courbe marquée sur la largeur, une autre courbe soit donnée sur la longueur, tout en réservant des témoins aux deux bouts de la douelle, c'est-à-dire deux endroits que l'outil n'a pas touchés. Ces opérations ont lieu sur un billot appelé "ours" (selon les localités : buchoir, tronchet, charpi sont employés). C'est une solide pièce de bois grossièrement taillée dans la masse, elle est fixée en terre sur quatre pieds. La doloire est abattue verticalement sur la douelle allongée sur l'ours. L'ouvrier se tient d'une façon caractéristique : l'outil saisi dans la main droite, le pouce placé près de la lame; le bout du manche appuyé sur la cuisse droite, le pied droit en avant le long du billot, la main gauche sur la douelle.

L'outil est de proportions constantes : la longueur du taillant doit être de 36 à 38 cm, sa largeur de 17, son poids varie de 4 à 4 kilos 1/2. La longueur du manche se determine en revanche, par la longueur du bras de l'ouvrier qui doit en faire usage. On la prend en mettant le bout du pouce sur le bord de la douelle en tenant le manche comme si l'on voulait travailler. En pliant le bras, le bout du manche doit se tourner à fleur de coude (selon Paulin DESORMEAUX). Après le travail de la doloire, le tonnelier se sert effectivement de son banc pour assujettir les douelles et affiner ce que l'outil précédent n'a fait qu'ébaucher : il utilise la série des planes. - LA PLANE DROITE : elle réalise 1a forme convexe des douelles.
- la plane creuse: elle réalise la forme concave des douelles
- la plane à queue: s'emploie pour égaliser les joints. (ou curette à gouge)
- la plane à parer: s'emploie pour égaliser les joints.
Outils des plus usuels, l'artisan en possède tout un assortiment, rangés sur un ratelier, les petits en haut, les grands en bas.

Croquis d'un tonnelier portant des feuillards
Tonnelier revêtu du tablier de cuir. Il porte sur l'épaule un rouleau de feuillard - un maillet à la main. Une herminette est dans la poche du tablier. Un jabloir est au sol.


Amincir les joints de chaque douelle afin qu'elle anticipe la forme future du fût (arrondie et plus large au centre qu'aux extrémités) voilà l'ouvrage qui s'accomplit sur la colombe. Cet outil se trouve horizontal quand il a 4 pieds et légèrement incliné quand il n'en possède que 3. Cette différence importe peu et tient plus aux habitudes locales qu'à des avantages spéciaux et remarquables. Le corps de la colombe est un quartier de cormier pris au coeur. On y perce une lumière comme à une varlope de menuisier, on ajuste un coin et on place un fer qui doit être bien affûté. On fait en sorte que la ligne du tranchant soit exactement sur le même plan que la table de la colombe. La lumière doit être très petite, il doit n'y avoir entre le tranchant et le bois que l'espace nécessaire pour laisser passer le copeau qui tombe en dessous. Pour que la colombe ne se détériore pas et que le fer ne risque pas de s'ébrécher ou de blesser des ouvriers, on prévoit ordinairement un couvercle en planches tenant avec des charnières en cuir. On rabat le couvercle sitôt l'ouvrage terminé. Pour juger si les douelles sont venues a bonnes proportions, l'artisan utilise des calibres, de toutes sortes, de toutes tailles.

Une fois les douelles prêtes, commence le montage de la coque. Il s'agit d'abord de placer dans un cercle de montage, côte à côte et debout, toutes les douelles du tonneau qui s'ébauche. On serre alors l'ensemble en entourant le fût de 3 ou 4 cercles plus larges que le premier qui est au sommet, ces cercles se nomment cercle de collet, de bouge, de passe-gouge, selon leur position le long du fût. Les cercles se serrent par l'intermédiaire de la chasse, c'est un coin de fer emmanché dans un morceau de bois sur laquelle on frappe à coups de marteau. Usagé, cet outil à guider les cercles ressemble à un oiseau fou, ébouriffé. Refermée dans sa moitié supérieure, la barrique est encore ouverte sur sa base, et c'est cette base qu'il importe de cercler à son tour. là, le tonnelier se fait "voleur de feu".

Après avoir mouillé le fût a l'extérieur, il le place au-dessus d'un brasero. Une 1/2 heure suffit à dissiper l'humidité, c'est le signe que les douelles sont assez chaudes pour être serrées sans casser. Le cintrage du fût s'effectue au moyen d'une batissoire ( ou étreignoir ) instrument composé d'un bât, d'une traverse mobile, d'une forte vis et d'une corde. On enveloppe le fût à serrer avec la corde puis, entourant la manivelle de la vis, on fait remonter la traverse, ce qui raccourcit la corde et comprime les douelles jusqu'à les joindre parfaitement ; il reste à passer et à chasser les cercles et la barrique est formée. Le travail qui va suivre s'appelle le rognage. On voici la description d'après Pierre GOUJUT : "on met le fût sur le basset (ou chaise à rogner) sorte de grand trépied sur lequel il repose afin de préparer les deux extrémités à recevoir les deux fonds.

 

Croquis des différents outils du tonnelier

On écaboche d'abord avec l'asseau (ou assyau ou herminette), petite hache au large taillant recourbé qui fait tomber la caboche des douelles et les appointe (autrement dit : tailler le chanfrein). Puis on arrondit cette pointe au rabot jabloir et on aisselle c'est-à-dire qu'on aplanit l'intérieur du fût de 5 cm à l'extrémité. Le Stockholm, rabot jabloir de plus grande taille constitue une manière de rabot rond monté sur une joue qui sert à guider l'outil en suivant les bords des douelles. Quand les extrémités intérieures se trouvent parfaitement galbées, le jabloir entre en jeu. Cet outil s'apparente au bouvet et au trusquin, deux pièces des menuisiers. C'est avec lui qu'on creuse des rainures circulaires dans lesquelles entrent les fonds, cela se nomme "tirer le jable".

Le façonnage des fonds composés chacun de 6 à 10 pièces de bois de chêne égalisées, jointées sur la colombe puis réunies par des goujons de bois, nécessite une grande exactitude. Avec le compas pour mesurer des ronds, l'ouvrier prend le point dans les rainures du fût creusées pendant le rognage et, ce point étant pris, le compas est bloqué sur la longueur juste. On trace alors sur les deux fonds la circonférence qu'ils doivent avoir pour s'encastrer précisément dans le jable, on scie enfin suivant le trait avec la scie à chantourner. Ces fonds taillés sont placés dans les rainures du fût, cette opération s'appelle le fonçage. Le fond est engagé verticalement à l'intérieur du fût, face à la douelle de bonde, celle qui a été choisie plus large et plus épaisse et marquée spécialement lors du montage. On a préalablement rempli la rainure avec une pâte de farine afin d'obtenir une étanchéité parfaite.

 

On enlève le cercle de montage du bout, on présente le fond dans la rainure et avec le tire-fond, sorte de crochet de fer plat qui saisit l'autre extrémité du fond, on fait pénétrer celui-ci dans sa place définitive. Ensuite on remet les cercles et on serre a nouveau jusqu'à ce que le fond soit bien à sa place. Le fonçage est terminé (d'après Pierre GOUJUT).

Le dernier cercle


Racloir et grattoir interviennent dans le cerclage définitif. Si les cercles sont des rubans de fer, l'usage de la bigorne et de la masse s'impose. Si le cerclage se fait en bois, la préparation est plus longue et les outils plus nombreux. Il faut "lier" du bois de châtaignier à de l'osier pour produire des fibres souples et résistantes. Pendant une journée, des brins d'osier fendus trempent dans l'eau, puis ils sont enfermés dans une cuve où brûle du soufre afin de les jaunir, enfin ils sont dédoublés et tressés autour du châtaignier. Une chasse spéciale pour la pose des cercles en bois est utilisée.

La mise en place du dernier cercle requiert à elle seule 3 outils : Le davier, le chien, (ou tire) et un maillet réservé à cet usage exclusif.
Le davier ressemble à un serre-joint qui s'emploie ici à tenir le cercle tandis que le chien sert à le tirer et à le placer de force. Cet instrument est composé d'un manche arrondi au bout et mesurant 50 cm environ, avec le bout garni d'une forte tôle et au milieu de sa longueur une mortaise dans laquelle entre une barre de fer mobile dont l'extrémité forme un crochet, cette barre de 25 cm est tenue au manche par une goupille.

Avec la pose du dernier cercle, la journée approchait à sa fin puisqu'un bon artisan ne mettait pas plus de 8 heures pour fabriquer, sans l'aide d'aucune machine, une barrique de 300 litres. Restaient les finitions et surtout le percement de la bonde. Pour cela, vrille, vilebrequin, étaient utiles mais plus particulièrement la bondonnièreet la bondonnière à raper, sorte de tarière qui perce au milieu du bouge d'un tonneau le trou évasé où prendra place la bonde. La bondonnière simple est d'une utilisation plus risquée que celle dite "à râpe" car cette dernière, agrandissant progressivement l'orifice en râpant le bois, ne peut pas fendre la douelle ( ou la douve) ni la faire éclater. A citer encore : pour ôter la bonde, outre le tire-bonde, le maillet à débonder qui est d'une constitution frêle et allongée. Enfin, le tonnelier se sert de marques et de rouannes pour distinguer et identifier ses productions.

 

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